L’atelier de mon père, peintre décorateur, était au bout du jardin.
Il m’installait un chevalet, un tabouret, me donnait un pinceau, me préparait des couleurs.
Commençait alors, l’immersion totale. Il n’y avait plus moi, seulement la trace, les traces qui se modifiaient sur le fond blanc.
Le plaisir d’appliquer sur le support cette matière, dont la densité et les couleurs se transformaient sous mon geste.

Et puis vinrent les apprentissages. Mon père m’apprit tout ce qu’il savait. Je résistais comme je pouvais à ce qui me semblait restreindre mon champ d’expérimentation.
J’ai appris pour faire plaisir, pour faire comme lui, mais l’insatisfaction a grandi avec la perte de ce contact intérieur.
Plus il m’apprenait des techniques, plus je perdais cette sensation de plénitude ressentie dans la petite enfance.
Je me disciplinais, je me conformais à ce qui semblait être les normes du savoir faire figuratif.
J’appris les règles, mais n’autorisais plus l’expression de ce qui bouillonnait à l’intérieur de moi, comme quelque chose d’interdit, d’inexprimable.
Je devins peintre décoratrice, un certain savoir faire, le plaisir du travail « bien fait ».
Je finis par ne plus peindre.
La vie me proposa d’autres horizons professionnels où je cherchai toujours cette sensation de plaisir global dans lequel je disparaissais.
Le rôle d’interface entre les artistes et les publics combla d’une certaine manière ce manque pendant de nombreuses années.
Je devins mère aussi. Le processus créatif de la grossesse me reconnecta avec la peinture. Le figuratif me renvoyait cependant à ce sentiment d’insatisfaction qui m’avait fait lâcher les pinceaux.

C’est en 2000, que je décidai de tenter l’expérience « d’oublier » les règles apprises et de reprendre la peinture précisément là où l’avait laissée la petite fille.
Simplifier le rapport des couleurs, me réconcilier avec les bruns, oser les rouges de la passion, du vivant. Le noir d’où tout peut émerger.
Laisser le geste se faire.
Ce fut ainsi, Au commencement.

Me laisser surprendre par ce qui se fait sans moi,
c’est ainsi que désormais je peins.